Romain Slocombe, femmes de plâtre, bondage et uniformes
Romain Slocombe est un artiste français touche-à-tout. On l’a vu au départ dans les années 70 avec Métal Hurlant, on a lu quelques-unes de ses BD, apprécié ses photos de Japonaises blessées, parfois eu la chance d’assister aux trop rares projections de ses films et souvent eu l’occasion, ces dernières années, de lire ses nouvelles noires et crucifiées, aux éditions Gallimard ou Fayard.
Si le Japon a toujours été un élément moteur de son inspiration, si l’intéressé parle bien mieux que moi de la raison qui l’a poussé un jour à nourrir une telle passion (déraison) pour le Pays du Soleil Levant, Romain Slocombe ne s’est jamais défendu de ses penchants fétichistes. Encore mieux, il en a fait son fond de commerce ! Fétichiste, c’est un fait. Mais qui ne l’est pas, répond alors l’intéressé, amusé.
Artiste (un peu) à la mode il y a quelque temps au Japon, apôtre de l’art médical et militaire, ses photos de Japonaises brisées et apparemment soumises, ces femmes de plâtre comme des poupées désarticulées au sourire presque gêné n’en finissent pourtant pas de hanter l’imaginaire du public et il n’est pas surprenant, aujourd’hui encore, de tomber fortuitement sur une expo, un recueil de photos ou sur des amateurs de Romain Slocombe, où que vous vous trouviez dans le monde (j’en parle en connaissance de cause). Des éditeurs français ont même fait appel à l’artiste pour commenter quelques bonus de films japonais en DVD (KAÏRO, CHARISMA, LE COUVENT DE LA BÊTE SACRÉE, ELLE S’APPELAIT SCORPION).
Avant tout reconnu pour ses talents de photographe, ses travaux ont certainement contribué à démocratiser quelque peu le terme « fétichisme », tout du moins à le dépoussiérer de ces tonnes de stupres basiques et autres mauvais maux qui lui ont toujours trop collé à la peau.
Des Japonaises attachées, des Japonaises blessées, en costume militaire ou d’infirmière… Faut-il y déceler un excès de machisme de la part de l’auteur, un désir de soumettre, de punir ? Le mâle directeur et la femelle qui a le droit de se taire. Accessoirement de souffrir un peu aussi.
Le résumé est volontairement usité, car la situation est plus complexe que cela. Il faut parfois chercher au-delà des idées reçues et autres stéréotypes tellement rabâchés qu’ils en finissent par écorcher. Le Japonais serait ainsi le maître incontesté de son foyer, la Japonaise autrefois choyée s’habillerait aujourd’hui comme une fille de joie et déambule dans les rues nippones complètement désinhibée : short moulant, bottines à talons aiguilles, chaussettes coquines remontant jusqu’aux genoux, jarretelles apparentes, et j’arrête ma liste ici car rien que le fait d’énumérer tout cela commence à m’exciter un peu.
Pire, de nos jours, les plus jeunes filles jouent de leur charme comme si elles avaient fait cela toute leur vie, les lycéennes même s’amusent à remonter leurs jupes et à jouer élégamment de leurs bas et chaussettes. Les hommes japonais, comme le point de vue fétichiste de Romain Slocombe, seraient donc parfaitement machistes et dominateurs. Voilà, la démonstration est terminée. Ce serait simple, n’est-ce pas, de s’arrêter là ? Pourtant, il existe aussi d’autres pistes de lecture, d’autres points de vue et avis qui ont le mérite de pousser à la réflexion.
Qu’il s’agisse du mouvement kawaii, des ganguro-gyaru ou encore des bihakukei, voire même des simples jeunes filles qui s’habillent comme expliqué un peu plus haut, eh bien ce phénomène serait loin d’être dénué de justifications. En effet selon certains analystes, les jeunes femmes en question auraient cherché à renverser les codes culturels pré-établis : on les considère immatures, eh bien elles vont démontrer qu’elles sont capables, à leur tour, d’user de leur pouvoir (essentiellement sexuel) pour manipuler celui qui les cantonne souvent dans un rôle secondaire : l’homme. Les lolitas nippones joueraient donc de leur corps comme d’un outil de provocation, et lorsque les politiques et sociologues de tous bords seront tentés de comprendre (et souvent de condamner) ce mouvement, les jeunes filles y répondront de manière directe en ridiculisant ces têtes bien pensantes, c’est-à-dire en poussant encore plus à l’extrême la carte du kawaii. En face de cela, l’homme cultiverait donc des fantasmes de domination (bondage, jeunes filles entièrement soumises) en réaction à sa perte d’autorité.
Ainsi dans le cadre des photos fétichistes de Romain Slocombe, qui est vraiment le dominé ? Le photographe qui vit pour mettre en scène ses clichés au plus près de ses fantasmes ou le modèle qui s’en amuserait presque, consciente de ses atouts et de son pouvoir sexuel sur l’artiste (et accessoirement aussi sur le public) ?
Dominée, dominant ou dominante… à chacun (et chacune) de choisir sa version des (mé)faits.
Cette réflexion n’a pas pour ambition de dresser le profil type de Romain Slocombe ou de ses admirateurs, il ne s’agit que d’un point de vue ayant pour but de dessiner un portrait personnel d’un artiste et de livrer quelques pistes de lecture. En tout état de cause, il ne me semble pas que Romain Slocombe ait jamais exprimé la brutalité au travers de ses travaux. Bien au contraire, l’homme est posé et très calme. Quand on s’attarde sur ses œuvres, on s’aperçoit aussi très rapidement que le respect de la femme occupe une place centrale de sa réflexion, de son langage. Ainsi dans le film KINBAKU LA FORET DES ARBRES BLEUS, qui retrace le petit calvaire de modèles posant pour une revue porno, Romain Slocombe parvient à donner une âme à ces Japonaises blessées. Derrière les images crues, il nous révèle des jeunes femmes parfaitement équilibrées, avec une vie, un quotidien banal et surtout, un avenir. De même, comment ne pas déchiffrer l’admiration qu’a Slocombe pour les femmes en général et les Japonaises en particulier, à la simple lecture de ses romans : la tétralogie de la Crucifixion en Jaune. Ces quatre livres, tour à tour inquiétants et hilarants, content les mésaventures d’un photographe fétichiste (Gilbert Woodbrooke) au Japon. Bien évidemment, il doit y avoir beaucoup de Romain Slocombe dans ce personnage fictif là. L’intéressé m’a par ailleurs confié que de nombreuses anecdotes avaient une souche véritable, avant bien entendu que l’écrivain (ou obsédé textuel) n’extrapole pour rendre ces pérégrinations encore plus folles !
Gilbert Woodbrooke donc, coureur invétéré, accro aux Japonaises, au bondage et à l’art médical et militaire. Fétichiste de son état, excité à la vue d’une Japonaise en uniforme et qui déploie parfois les efforts les plus insensés pour avoir la chance de mettre en scène ce qu’il s’était préalablement imaginé. Dominateur, Woodbrooke ? Esprit supérieur, manipulateur, Woodbrooke ? Bien au contraire, le photographe anglais serait avant toute autre chose le pantin de ces dames. Mais il en est conscient, et plonge souvent dans les ennuis les plus inextricables avec un sourire complice aux lèvres. Les femmes sont en effet les personnages forts des quatre romans. Certaines ont le sens du sacrifice (la femme de Woodbrooke lui pardonne beaucoup de choses pour sauver leur famille et leurs enfants), quand d’autres savent faire preuve de courage, de malice, voire d’un certain sens de la manipulation. À propos de ce masque trompeur de la jolie et naïve petite Japonaise qui s’évaporerait pour faire place à une femme sachant aussi tirer discrètement avantage de la situation, je vous conseille le film WEEK-END A TOKYO, de Romain Slocombe et Pierre Tasso, dont la fin est parfaitement révélatrice de tout ce qui a été dit jusqu’ici.
Portrait originellement écrit en octobre 2007, sur l’un des mes anciens blogs.
Et elle dirigea vers moi, amoureuse, son seul œil levant…